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Séminaire
2015-2016

Séminaire de recherche du LEMME

2015-2016

La médiation et la fabrication de l’écart

 

Présentation

D’une manière générale, on considère que la médiation doit réduire les écarts (culturels, normatifs, sémiotiques, interprétatifs, etc.), et que sa mise en place est chargée de permettre à deux « mondes » d’entrer dans une relation harmonieuse. Nous voudrions au contraire interroger ici tous les cas où l’écart est simplement déplacé, reconduit ou fabriqué, et observer les dispositifs de médiation à partir de l’écart qu’ils entretiennent, voire qu’ils produisent.

Nous voudrions par là mettre en question l’idée implicite que la médiation réduit les écarts, et envisager cette notion à la lumière de l’écart qu’elle reporte, qu’elle engendre ou dont elle se nourrit. Cette thématique, suffisamment large pour recouvrir un grand nombre de processus et de phénomènes autour de la norme, du commun, de l’échange, etc., offre en outre l’avantage de pouvoir être déclinée, avec des problématiques similaires, dans plusieurs disciplines et par rapport à différents objets, et de dégager ainsi les multiples dimensions (sociale, processuelle, épistémologique, politique) dont les phénomènes de médiation sont potentiellement porteurs.
Quelques axes possibles de questionnement :

Dans le domaine des arts et de la culture, la mise en présence de publics et d’œuvres vise à fabriquer du lien, du contact, du rapprochement, mais elle peut aussi renforcer les logiques de méfiance, de résistance ou d’évitement et se traduire finalement, et paradoxalement, par une mise à distance. Les écarts produits – écarts à la norme dominante– sont ici l’effet symbolique, non recherché, d’interactions entre les groupes d’acteurs engagés à différents titres dans la médiation, et notamment de processus d’attribution de « places » énonciatives, sociales et politiques. La production d’écarts doit alors être rapportée aux jeux de places prises, assignées ou négociées.

Pour les pratiques culturelles amateurs, la fabrication de l’écart est un phénomène double, au sein duquel l’amateur se distingue tout d’abord des normes socio-économiques et parfois socio-culturelles de la sphère professionnelle/industrielle puis, dans le cadre de la communauté amateur elle-même, produit un ensemble d’écarts négociant un positionnement personnel destiné à le singulariser. Ainsi l’écart renvoie-t-il ici tout à la fois à une posture économique, culturelle, esthétique et politique collective, et à une posture singulière garantissant l’identité et la visibilité de l’auteur.

Mais il est d’autres cas où l’écart est nécessaire aux processus de médiation, et l’on peut alors s’intéresser à ses vertus en tant que tel. Un bon exemple pourrait être fourni par la médiation animale, où l’on peut considérer que la médiation fonctionne parce que la présence animale, étant porteuse d’altérité (l’animal avec son monde et sa manière d’y exister, notamment directe et instinctive), apporte à la situation clinique des écarts, des incertitudes, des déviations, etc., qui permettent aux identités du thérapeute et du patient de se reconfigurer dans un nouvel espace commun. Dans ce cas, une médiation qui fonctionne est une médiation qui produit du nouveau et met en relation le patient et le thérapeute selon des modèles qui dérogent à ceux de la réalité ordinaire, et qui est capable de s’autonomiser en tant que « dispositif technique » susceptible de se stabiliser et de se transmettre.

En théorie du discours, depuis la tradition rhétorique jusqu’aux développements les plus récents de l’analyse du discours, l’écart a toujours tenu, implicitement ou explicitement, une place privilégiée : critère définitoire de la figure, enjeu de la médiation narrative ou argumentative, torsion entretenue entre les formes textuelles et les formes sociales, subversion des normes (génériques, énonciatives, sociolectales) en vigueur dans un champ de pratiques discursives, l’écart semble être l’une des clés heuristiques privilégiées pour l’étude des discours. Ici, comme dans d’autres domaines, se pose explicitement la question épistémologique de la posture d’analyse face à ces écarts (donnés ou construits) et du rôle médiateur assumé (plus ou moins) par le chercheur lui-même : s’agit-il de dénoncer l’écart, ou au contraire de le légitimer, ou encore de lui rendre raison par une mise en lumière de ses effets et de sa place dans une plus vaste architecture d’écarts ?

En élargissant la perspective, on pourrait alors envisager la manière dont ces écarts, constitutifs des figures, configurent la perception d’un problème, en particulier d’un problème d’ordre politique. La notion de « métaphore conceptuelle », développée en linguistique cognitive, est basée sur l’idée que nous percevons le monde de manière métaphorique, en projetant des domaines conceptuels liés à notre expérience sur des domaines conceptuels abstraits. Mobilisant l’écart à l’œuvre entre ces deux domaines, cette notion est ainsi un point d’entrée fécond, susceptible d’éclairer la réception de discours politiques (par exemple des discours sur le fédéralisme en Belgique).

Enfin, dans le registre spécifique de l’analyse des représentations médiatiques, la notion d’écart a été convoquée pour définir une rupture avec les discours mainstream, avec l’idéologie dominante ou avec toute forme de production à visée hégémonique. Aujourd’hui encore, cette notion permet de repenser la prise en charge médiatique de mouvements sociaux, mobilisations politiques ou expressions religieuses considérés – pour tout ou pour partie – comme hors-cadre et par conséquent sujets à controverses. Si le caractère spectaculaire, polémique et stigmatisant de la couverture journalistique de ces pratiques « hors norme » trouve probablement son origine dans des logiques économiques liées au fonctionnement même des industries de l’information, on ne saurait, pour autant, faire l’économie d’une réflexion critique sur les enjeux proprement politiques et idéologiques qui leur sont associés. L’écart reçoit ici un rôle d’analyseur social et politique des discours.

Contact : Élise Vandeninden : Elise.Vandeninden@ulg.ac.be

Programme

04/03/2016 : La fabrique de l’écart dans l’espace public urbain
Avec J. Bonaccorsi (Université de Lyon 2), E. Da Lage et M. Dalibert (Université de Lille 3), F. Provenzano (ULg)
De 10h à 15h, salle de l’Horloge.

18/03/2016: Médias, discours de crise et politique
Avec P. Heyvaert et J. Perrez (ULg), G. Geuens et J. Marique (ULg), J. Kotišová (Masaryk University, Faculty of Social Studies)
De 13h30 à 17h, espace de réunion du Département de Philosophie.

22/04/2016 : Jouer et créer dans la culture vidéoludique : une question d’écart
Avec F. Barnabé, P.-Y. Hurel, B. Olav-Dozo (ULg)
De 10h à 15h, salle de l’Horloge.

13/05/2016 : Arts et écarts
Avec R. Brahy et V. Servais, C. Ghebaur, T. Habrand, L. Jousten et L. Jonas (Ulg)
De 10h à 15h, salle A2/6/8.